Le toucher, ce langage universel
Pour Josée Tremblay, massothérapeute agréée certifiée, la massothérapie est plus qu’un soin. C’est un langage, une manière de communiquer avec l’autre. Cette année, elle a offert sa disponibilité et son écoute à une trentaine de bénéficiaires du CHSLD Benjamin-Victor Rousselot, affilié au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Elle a accepté de nous partager son expérience.
Fondation de la massothérapie (FM) – Pouvez-vous nous décrire votre expérience de massothérapeute en CHSLD ?
Josée Tremblay (JT) – La plupart des personnes que j’ai rencontrées en CHSLD avaient des problèmes cognitifs très lourds. Certaines ne bougeaient pas du tout. D’autres étaient incapables de s’exprimer avec des mots.
Lors des premières rencontres, les résidents avaient tendance à être sur leurs gardes. Il fallait donc établir une relation de confiance, au fur et à mesure des massages. D’une rencontre à l’autre, on poursuivait l’histoire là où on l’avait laissé, on continuait à se découvrir. Plus je touchais les résidents, plus je ressentais rapidement un mécanisme de détente s’enclencher. J’avais l’impression que le corps se rappelait du toucher.
FM – Qu’est-ce qu’apporte la massothérapie à ceux et celles qui vivent en CHSLD ?
JT – L’élément le plus commun est la qualité de détente. Lorsque j’arrivais, il y avait beaucoup d’agitation dans l’air, d’anxiété même, parfois. J’avais l’impression que les gens étaient très tendus, crispés. Après le massage, les résidents étaient détendus, parfoisprêts à faire une sieste.
Le massage se veut aussi un moment où les gens peuvent se confier, pour ceux et celles qui en ont envie. Je les écoute, je leur pose des questions. Je suis là, avec eux, peu importe ce qu’ils ont à me dire. Ils me racontent des histoires du passé, c’est fascinant. Je suis très reconnaissante de pouvoir entrer dans la vie de ces gens-là.
Je me rappelle de l’une des résidentes. Elle était russe et parlait seulement l’anglais. Elle souffrait d’Alzheimer, alors quand j’arrivais, elle était toujours méfiante. Lorsque j’avais massé ses mains, elle commençait à me raconter son histoire, du temps où elle était danseuse de ballet, tout comme sa sœur jumelle.
Une autre dame que j’ai vue régulièrement avait d’atroces douleurs aux pieds. C’était une ancienne accessoiriste de cinéma et une artiste peintre. Certaines de ses œuvres étaient accrochées aux murs de sa chambre. Son amie, de la chambre d’à côté, venait nous rejoindre chaque fois que je lui faisais un massage et on discutait. Ça devenait un lieu derencontre, de partages.
Mon objectif en massothérapie, c’est d’être à l’écoute et d’offrir une qualité de présence, un toucher apaisant. Je pense que le massage peut faire une différence, surtout dans un contexte de soins comme en CHSLD, où le personnel n’a pas toujours le temps, qu’il est débordé. Le massage offre un espace aux résidents, un moment où ils sentent qu’ils ont de l’importance.
FM – À la Fondation de la massothérapie, on parle de la massothérapie comme d’un toucher bienveillant. Est-ce quelque chose que vous constatez dans les soins que vous offrez en CHSLD ?
JT – Oui, bien sûr. En fait, la racine du soin, c’est la bienveillance. On travaille avec notre coeur. En CHSLD, on veut offrir une présence. Ça peut être seulement de déposer sa main sur l’épaule de la personne. C’est là, avec un toucher apaisant, avec une intention bienveillante, que quelque chose se passe et qu’une communication avec l’autre s’établit.
Un jour, une résidente était installée sur une chaise dans la salle commune. Elle avait des difficultés respiratoires assez importantes. Pendant une vingtaine de minutes, je suis restée avec elle, j’ai mis mes mains sur ses épaules, j’ai pris ses mains dans les miennes. À la fin du massage, elle était moins agitée, sa respiration était plus normale, elle cherchait moins son air. Deux semaines plus tard, quand je suis revenue au CHSLD, j’ai appris qu’elle était décédée dans la nuit suivant le massage que je lui avais offert. On m’a raconté par la suite qu’on n’avait pas eu à lui administrer de sédatif lorsqu’elle est partie, puisqu’elle était calme. Je ne sais pas si c’est la massothérapie qui a permis ce passage-là pour elle, mais je l’espère sincèrement.
FM – Y a-t-il eu des moments où vous avez eu l’impression de faire une différence dans la vie des résidents du CHSLD ?
JT – Chaque fois que je suis allée. Souvent, ce sont de petits changements, surtout chez ceux et celles qui ont de la difficulté à communiquer. Quand j’arrive et qu’ils sont en douleur, ils émettent des sons, ils ont des tics, ils sont crispés. Pendant le soin, je les sens se détendre, certains s’endorment. C’est très touchant de sentir que je les amène vers un apaisement.
Mon travail, ce n’est pas d’insister, mais d’offrir ma disponibilité. J’ai rencontré une dame la dernière semaine où je suis allée au CHSLD. Elle était en pleurs, en panique et je ne savais pas pourquoi, car elle était incapable de l’exprimer. J’ai travaillé un peu son cou, j’ai mis mes mains sur ses épaules, je lui ai massé les mains. Ces petits gestes ont réussi à la calmer.
Vous savez, la massothérapie amène un réconfort, un geste de bienveillance qui permet de reconnecter avec son corps. Elle amène une autre qualité de sensation, une autre façon de reconnecter avec soi, peu importe l’état dans lequel on se trouve.
FM – Certains bénéficiaires vous ont-ils marqué ?
JT – Oui, plusieurs. Certains étaient très drôles. Un homme par exemple, qui s’asseyait pendant quelques secondes, se relevait, puis repartait. Un jour, je lui ai demandé s’il voulait un massage. Il a répondu non. La fois suivante, je lui ai offert de nouveau, je lui ai massé les épaules pendant à peine deux minutes, puis il est parti. Lorsque je suis retournée par la suite, il m’a pris par la main et m’a amené jusqu’à la cuisine. Il s’est assis et a attendu que je le masse.
Ça semble peut-être anodin, mais pour moi, quelqu’un qui me prend la main dans un contexte comme celui-là (CHSLD), c’est une marque de confiance qui me touche énormément. J’ai vécu beaucoup d’échanges similaires qui font une grosse différence dans ma vie d’humaine.
Il y avait aussi cette dame, une Italienne qui ne parlait pas un mot de français. Je lui massais les mains et elle me remerciait dans sa langue. Elle me racontait des histoires que je ne comprenais pas, mais ça n’avait pas d’importance, puisqu’une relation s’était établie entre nous.
La massothérapie permet d’établir un langage commun. C’est beaucoup d’écoute. On touche la personne, on voit dans quelle partie du corps elle est le plus stressée, où elle se détend. C’est un langage la massothérapie, c’est une manière de communiquer avec l’autre.
Entrevue réalisée avec Josée Tremblay, massothérapeute agréée certifiée
Tiré du Rapport 2019-2020_Fondationƒ_LR